Pression corporelle et réseaux sociaux : pourquoi la suppression d’Instagram est discutée

Contexte et témoignages autour de l’image corporelle
Apolline a ouvert ses premiers comptes sur les réseaux sociaux à l’âge de douze ans. Adolescente, elle y consacrait entre deux et sept heures par jour. Sa passion pour la K‑pop, cette musique coréenne associée à des silhouettes ultra-minces, a contribué à façonner son regard sur son corps et, à un moment donné, à favoriser des troubles alimentaires.
« J’avais l’impression que si j’étais plus grosse, je ne vaudrais rien et que personne ne pourrait m’aimer », confie Apolline, aujourd’hui âgée de 20 ans.
Avant que la maladie ne s’installé complètement, elle décrit des moments de pleurs devant le miroir, victime de dysmorphophobie — une distorsion de la perception de son corps. « Je me voyais beaucoup plus grosse que ce que j’étais et j’avais des idées un peu extrêmes. Je voulais me couper la peau, faire de la liposuccion », raconte-t-elle.
Les réseaux sociaux et la normalité orchestrée
Pour Apolline, les réseaux sociaux imposent un nouveau standard de normalité : « On s’identifie comme si c’était vraiment la vraie vie. Je vois des filles hyper belles et dans ma tête, j’ai l’impression que tout le monde est comme ça ». Même si, rationnellement, elle sait que ce n’est pas le cas.
Le paradoxe est cruel: alors qu’elle traversait la période la plus critique de maigreur, certains commentaires célébraient son apparence. « Waouh, tu es trop belle, tu as trop de la chance d’être mince comme ça », lit‑on dans des échanges en ligne. Elle observe aussi que la société a progressivement abaissé la norme du poids, citant l’exemple de Marilyn Monroe retouchée a posteriori pour mincir.
Une pression qui s’étend aussi aux garçons
David, 22 ans, incarne une autre facette de cette pression. Adolescent, il était « un peu plus enveloppé » et moins soigné, ce qui lui a valu discriminations et remarques, y compris de sa famille. « Je n’avais pas la dernière paire de chaussures ou un polo Lacoste », raconte-t‑il à propos des moqueries reçues.
Contrairement à la génération de ses parents, où seules les jeunes femmes subissaient cette pression de l’apparence, David constate que les jeunes hommes sont désormais tout autant concernés. Selon lui, son père de jeune devait juste travailler et être « un minimum propre sur lui » pour plaire, tandis que sa mère devait être « apprêtée, toute douce, féminine ».
Le fitness, entre libération et addiction
David fréquente assidûment les salles de sport et remarque que, chez la plupart des jeunes qu’il rencontre, l’esthétique prime plutôt que la santé.
« On n’avait pas les réseaux sociaux, donc on s’en fichait royalement de comment étaient les autres »
Claude, 86 ans, danseuse classique depuis toujours, offre un contraste saisissant. Dans son milieu, pourtant réputé pour son exigence physique, elle affirme n’avoir jamais vécu cette pression: « On n’avait pas les réseaux sociaux, donc on s’en fichait royalement de comment elles étaient celle-ci ou cette autre. La seule chose qui comptait dans le milieu, c’était la technique. »
À son époque, les modèles de beauté étaient limités aux stars de cinéma et aux magazines. Interrogée sur son rapport au corps à 20 ans, Claude répond simplement : « Je me trouvais chouette et je me trouvais surtout danseuse. »
Quand TikTok supprime « Skinny Talk »
Récemment, TikTok a supprimé le hashtag « Skinny Talk », qui donnait accès à des vidéos où des jeunes filles partageaient leurs méthodes pour rester en sous‑poids extrême. Pour Apolline, qui connaît intimement les conséquences de ces pratiques, ces contenus restent « horribles » et malheureusement très accessibles malgré la suppression du hashtag.
Mais supprimer un seul hashtag suffit‑il ? « Instagram est basé sur les standards, l’apparence, la vie parfaite. Il faudrait supprimer Instagram, je sais pas », s’interroge-t-elle, consciente que l’objectif peut rester illusoire. David complète: « Je pense que la solution, c’est de supprimer les réseaux sociaux. Supprimer un hashtag, ça va pas changer le problème. Tant qu’il y aura les réseaux sociaux, il y aura un problème avec le corps chez certaines personnes. »
Vers une diversité des corps ?
David relève néanmoins une évolution positive selon lui depuis environ deux ans : « Les marques mettent plus en avant les personnes avec plus de poids. Il y a moins ce côté très rigide de la femme mince ou du garçon hyper musclé. »
Mais Apolline reste lucide: « Les campagnes publicitaires ont toujours un temps de recul par rapport aux réseaux sociaux où les tendances filent très vite. Et là, en ce moment, ça recommence à retomber dans la minceur extrême. »
Luigi Marra / RTS