F-35: données, souveraineté et sécurité des échanges avec les États‑Unis
Le F-35, capteur et nœud de communication
Le F-35 est décrit comme un capteur et un nœud de communication, générant un volume important de données qui circulent via un réseau dont le contrôle est largement assuré par les États‑Unis. Cette réalité a été évoquée par le général français Jean‑Marc Vigilant lors d’un entretien avec RTS sur l’avenir du F‑35 pour l’armée suisse.
ALIS et la logistique de maintenance
Au cœur du dispositif se situe ALIS, un système de maintenance interconnecté basé à la base de l’US Air Force d’Eglin, en Floride, et géré par Lockheed Martin, le constructeur du F‑35. Son objectif est de garantir un suivi logistique global et réactif, notamment pour faciliter l’approvisionnement en pièces de rechange.
ALIS ne se limite pas au diagnostic technique: il collecte des données sur l’état de l’appareil, la gestion du personnel de maintenance, les calendriers de vol et l’évaluation des critères critiques des missions. Il apporte aussi un soutien à la planification des missions et à la formation des équipages.
Pare-feux et contrôle des données souveraines
En 2019, le système a été actualisé pour permettre aux pays utilisateurs de filtrer les données destinées aux États‑Unis. Des pare-feux ont été développés afin de limiter la transmission de données sensibles ou de retarder certaines transmissions urgentes lorsque nécessaire.
L’armée norvégienne, qui a reçu une portion importante des F‑35, a expliqué à RTS les possibilités offertes par ce matériel. Selon Stine Barclay Gaasland, porte‑parole de l’armée norvégienne, l’objectif est de pouvoir filtrer les données souveraines et de retarder l’envoi de données urgentes lorsque cela est nécessaire pour réduire leur caractère critique.
Le matériel de filtrage des communications est fourni par le F‑35 Lightning II Joint Program Office, une entité américaine affiliée au Département américain de la défense. Contacté, cet organisme n’a pas répondu aux sollicitations du Pôle enquête de RTS. Aux États‑Unis, le matériel destiné à sécuriser les communications passe par les laboratoires de la NSA pour être homologué avant d’être fourni aux partenaires étrangers.
Le Royaume‑Uni et l’option d’un pare‑feu national
Le Royaume‑Uni privilégie le développement de son propre pare‑feu pour filtrer les données envoyées vers les États‑Unis. Depuis au moins 2021, le pays dispose de cette solution et le contrat a été renouvelé début 2025 pour une période de trois ans, avec une société spécialisée en cybersécurité basée dans le sud de l’Angleterre. Le nom de pare‑feu évoqué dans certains milieux est Tiger Trap, mais la société n’a pas souhaité commenter pour RTS.
Selon le général Vigilant, cette démarche témoigne d’une conscience accrue de la dépendance technologique et d’une volonté de protéger les données nationales, même si l’efficacité du pare‑feu reste à démontrer.
ODIN et l’évolution vers une architecture cloud
Les États‑Unis ont investi plus de 200 millions de dollars pour développer ODIN, un nouveau système de maintenance proposant une architecture cloud plus légère et sécurisée. L’armée norvégienne indique que le pare‑feu existant sera maintenu en parallèle du nouveau système.
Identification des menaces et flux de données
Autre démonstration de l’influence américaine, le système d’identification des menaces électromagnétiques qui passe par les États‑Unis. Le F‑35 dispose d’un ensemble de capteurs capables de repérer les signaux émis par les radars, les drones, les avions ennemis et les missiles sol‑air. Ces signaux sont répertoriés en temps réel depuis la base militaire d’Eglin et diffusés à l’ensemble des F‑35 en circulation via ALIS, afin d’être mis à jour pour les contre-mesures ou les actions de neutralisation.
Bureaux indépendants… mais sur sol américain
Plusieurs pays partenaires ont créé leur propre centre de traitement afin de mettre à jour ces menaces sans dépendre directement de l’armée américaine. Cependant, ces bureaux ont été installés sur le sol américain et l’exemple de la Norvège illustre les avantages tirés de cette localisation: production de fichiers de mission et intégration de données de renseignement nationales classifiées, ce qui accroît la capacité du programme F‑35 à générer et reprogrammer rapidement ces fichiers selon les besoins opérationnels.
Le général Vigilant demeure prudent: selon lui, ce qui est stratégique dans un système d’armes, ce sont les données générées ou utilisées. Les Américains gardent un contrôle central et invitent les partenaires à collaborer sur ces sujets sur le sol américain.
Conclusion
Claude‑Olivier Volluz, du Pôle enquête, rappelle que la question centrale réside dans la gestion et l’accès aux données dans le cadre d’un programme partagé à l’échelle internationale.