Conflit au Soudan : les civils et les minorités ethniques en danger croissant après El Fasher
Conflit au Soudan : danger croissant pour les civils et les minorités
La situation actuelle s’inscrit dans le prolongement d’une révolte populaire de 2019 qui a provoqué la chute du régime d’Omar el-Bechir après trois décennies de pouvoir. Toutefois, le pouvoir n’a pas été confié aux civils: en 2021, deux généraux – Abdel Fattah al-Burhan, à la tête de l’armée régulière, et Mohamed Hamdan Dogolo, chef des Forces de soutien rapide (FSR) – ont mené un coup d’État qui a interrompu le processus de transition démocratique. Depuis 2023, ces deux camps se livrent une guerre qui fragilise profondément le pays.
Le Darfour, territoire de l’ouest, est entré dans une nouvelle phase après la prise d’El Fasher — capitale régionale — par les FSR, à l’issue d’un siège s’étendant sur plus de 500 jours. Avec cette avancée, la région passe sous le contrôle des paramilitaires et marque un tournant majeur dans un conflit déjà long et meurtrier.
Des informations sur les exactions se multiplient: l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a évoqué le meurtre de plus de 460 personnes dans une maternité. Des exécutions sommaires de civils ont été rapportées, incluant des femmes, des enfants et des personnes âgées. De leur côté, l’armée régulière affirme que les paramilitaires ont ciblé des mosquées et des personnels humanitaires du Croissant-Rouge.
La situation est décrite comme une « pire crise humanitaire au monde » par les Nations Unies, en raison des violences croissantes et du risque de ciblage ethnique des populations civiles.
Risque d’escalade et aggravation des tensions identitaires
Dans ce contexte, il devient de plus en plus difficile pour les civils de rester en marge ou d’afficher une appartenance claire à une communauté. Selon la géographe Alice Franck, maîtresse de conférences à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, une résistance forte s’est opérée pendant deux années pour éviter d’en faire un simple conflit civil, mais les exactions de chaque camp risquent de raviver les clivages identitaires et de réduire les marges de neutralité.
Des spécialistes redoutent une radicalisation accrue après la prise d’El Fasher. Le politologue Roland Marchal rappelle que les violences observées sur le terrain pourraient pousser les parties à adopter des positions encore plus extrêmes et à s’enfermer dans la guerre jusqu’au bout.
Des témoignages évoquent des actes commis contre des personnes qui s’étaient rendues ou qui étaient prisonnières de guerre, décrits comme « scandaleux ». Ces faits pourraient nourrir une dynamique de haine et de confrontation prolongée sur le terrain.
Défis humanitaires et accès restreint
En 18 mois de siège, des centaines de milliers de civils ont fui vers Tawila, petite ville refuge située à une soixantaine de kilomètres d’El Fasher. Depuis la prise de la ville, l’arrivée d’aide est limitée: seuls quelques milliers ont pu atteindre les zones sécurisées, alors que les autoroutes restent dangereuses et contrôlées par des milices. Caroline Bouvard, responsable Soudan pour l’ONG Solidarité internationale, explique que les conditions de sécurité compliquent fortement les efforts humanitaires et que de nombreuses personnes restent bloquées dans des villages de transit ou isolés, avec des besoins criants.
Les personnes arrivées récemment présentent des signes de malnutrition, de déshydratation et de traumatisme; beaucoup ont subi des exactions, et les équipes d’aide tentent d’apporter un soutien adapté malgré les circonstances extrêmement difficiles.
Perspectives et appels à l’action internationale
L’ONU précise disposer d’un accès très limité au Darfour, faute d’autorisations complètes du gouvernement soudanais pour une présence opérationnelle normale, ce qui complique la coordination de la réponse et repose largement sur les ONG locales et internationales. Malgré les engagements affichés par les Forces de soutien rapide, la situation ne s’est pas améliorée après la fin du siège, et les déclarations des institutions internationales et européennes dénoncent une hausse des violences et un possible ciblage ethnique des civils. Le Syndicat des médecins soudanais a également évoqué des massacres motivés par des raisons ethniques, rappelant les violences qui avaient marqué le Darfour au début des années 2000.
Ce reportage s’inscrit dans le cadre du sujet diffusé par 19H30 et a été réalisé par Pierrik Jordan pour le volet web, avec le concours des équipes sur le terrain et des sources spécialisées.